ARGUETTE
ARGUETTE
Et de cinq !!!!
"Arguette" - 5e épisode : La grande traversée, le col de Vielha
Par Le Cafetier le Samedi 21 août 2010, 08:17 - Le Feuilleton des Vallées - Lien permanent
Monsieur Lacaze, qui revenait du Sud de l'Espagne, avait d'élégants vêtements de citadin aisé. Bon-Papa songea que les minces bottines de fin cuir risquaient de le faire bien souffrir sur le chemin caillouteux1 .............!
Cependant, c'est d'un pas ferme et décidé qu'il suivit Bon-Papa et Arguette.
L'allure est soutenue car il ne faut pas perdre de temps, seul le bruit des fers d'Arguette2 et des souliers de Bon-Papa, résonnent dans le silence feutré qui enveloppe la montagne.
Au début, le chemin n'est pas des plus rapides. Il est bien tracé et s'enfonce dans une forêt de sapins3. Ce n'est qu'en sortant du bois que la pente devient plus raide. Ils font une halte avant d'entamer les derniers lacets qui conduisent au sommet du premier col. Ils ne se parlent pas. Ici, tout est silence...
Arrivés en vue de la vallée du Rio Negro, la Forcanada leur apparaît, majestueuse. Un brouillard léger l'enveloppe. II y neige.
Il est déjà quatre heures de l'après midi, Ils ont encore quelques minutes de marche à couvrir avant d'arriver au sommet du Port Vieil, lorsque de brusques rafales de pluie glacée les enveloppent, côté Val d'Aran, Il ne fait vraiment pas bon. De gros nuages montent à l'assaut de la petite vallée qui débouche sur le Col.
Les deux hommes s'arrêtent un Instant pour souffler un peu. Ils se passent la gourde que Bon-Papa porte en bandoulière, et sans tarder, s'élancent vers la descente. Arguette s'est mise à beugler et Bon-Papa marche en tête pour la rassurer.
Le sentier moins pentu longe un petit ruisseau. Surprise, une harde d'isards s'enfuit dans le brouillard. Les sifflements de la "gula" de service4, leur Indique qu'Ils ne sont pas loin. La neige se met à tomber, drue, recouvrant très vite le sentier qui devient en peu de temps Invisible. Arguette de nouveau en tête fait la" trace ". Quand Ils arrivent au-dessus du grand cirque7, la tempête redouble, de grandes rafales de vent déplacent des monticules de neige. Bon-Papa sait que l'endroit est dangereux, Il faut à tout prix s'orienter vers la gauche, à droite se trouvent les falaises qui surplombent le petit lac5 vers lequel Il ne faut pas s'aventurer. Il faut s'arrêter et faire le point.
A l'abri d'un rocher contre les flancs d' Arguette, ils reprennent peu à peu leur souffle. Ils pressent une nouvelle fois la gourde pour se réconforter.
Monsieur Lacaze est très fatigué. Ses vêtements le protègent mal. Le froid l'engourdit, et, tout d'un coup," perd courage. Il ne peut plus continuer. Arguette meugle et lèche la figure de Bon-Papa, la situation est désespérée. Monsieur Lacaze sentant ses forces l'abandonner dit à mon Grand-Père :
« Peut-être tout seul vous vous en sortirez. La vache qui a su trouver son chemin une fois vous ramènera. Laissez moi mourir là. Si vous en réchappez vous donnerez la malle à ma femme. Pour moi tout est fini, Je n'en peux plus.
- Nanl, nani6, Moussu Lacaze7, ensemble nous sommes partis, ensemble nous reviendrons. »
Bon-Papa défit la moitié de sa facha, attacha l'autre bout autour de la taille de son compagnon et, sûr de ne pas le perdre, il saisit la laisse autour des cornes d'Arguette et, s'en servant comme d'une guide, il cria :
« A caso Arguetto, Antonia nous demoro8 ! ... »
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Notes:
1. "sur le chemin caillouteux...!": rappelons qu'eth vath d'Aran conserve dans son toponyme une très lointaine racine pyrénéenne : "arr-", "gar-" renvoyant au mot rocher. Notre Pic du Gar en est une magnifique illustration. La Vallée d'Aran serait ainsi traduite "la Vallée Rocheuse" ou "Vallée des Rochers", ou pourquoi pas "Les Rocheuses"... C'est sans doute par erreur répétée plus que par malice que l'on propose sans référence une soi-disant racine basque "haran"? (vallée). Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué.
2. "les bruits de fer": Arguette est ferrée comme toutes les vaches qui se déplacent sur de longs trajets ou qui voyagent aux estives. Le chemin du Port de Vielha, très emprunté jusqu'en hiver, était aménagé. On trouve encore un bout de ce pavage de granit blanc et rose sur le versant espagnol.
3. "...le chemin...s'enfonce dans une forêt de sapins": c'est la bifurcation pour le col. A leur gauche les voyageurs laissent le Barranc de Molheres. (Cf. Carte Topo et Guide des Pyrénées de Joanne, Routes 74 et 75).Croisé nombre de caravanes de mules pomponnées, caparaçonnées de franges rouges et de plumets, chargées de vin et de laine. Nous arrivons au col, sorte de couloir entre deux chaînes de rochers hérissés... Trois mois dans les Pyrénées et le midi de la France, 1858, Alfred Tonnelé.
4. "la "gula" de service": ............... Amis lecteurs rien ne vaut votre participation. Voici LA grande question du Feuilleton de l'été. Nous vous laissons le plaisir de compléter cette note et attendons vos propositions concernant cette mystérieuse "gula"...
5. "le petit lac": Il s'agit sans doute de l'esthani de Redon, entouré de rochers (petit diaporama sur flickr), mais le petit étang de Font Freda (Hount reda, "Source froide") n'est pas bien loin non plus (cf. Carte Topo).
6: "nani": C'est simplement non.
7. "Moussu": en fait Mossur déformation de Monsieur.
8: "Antonia nous demoro": Antonia nse demora, "Antonia nous attend". Le verbe demorar signifie habiter, rester ou attendre.
NB: Là encore on vous met à contribution pour nous envoyer une image d'un métier à ferrer d'ici. Celui de notre photo venant de Lozère... On exagère non ?...
Commentaires
Notre Arguette à nous, elle s'appelait Bichette et bien qu'elle n'ait traversé que la longueur d'un pré, ce fut une grande émotion.
J'avais 9 ans quand nous avons dû quitter définitivement la campagne et la ferme. Les récoltes avaient été mauvaises, les vaches furent vendues et le chien ... non, ça je ne peux pas le dire !
Nous sommes allés grossir les quartiers "modernes" de la ville. Mais nous repartions certains dimanches rendre visite à nos anciens voisins. Un jour, sur le chemin, ma mère poussa des cris dans la voiture. Dans un pré, sur le bord de la petite route, Bichette paissait tranquillement avec ses nouvelles compagnes.
Ma mère sauta hors de la 203 et se mit à appeler : "Bichette ! Bichette !". La vache n'en attendit pas davantage. Elle traversa le pré en courant et vint se faire caresser en tirant la tête par-dessus la clôture électrique. Et nous sommes sûrs d'avoir vu des larmes dans ses yeux.
Nous attendons vivement le feuilleton du samedi. Le jour dit, je lis l'aventure d'Arguette à voix haute, pour toute la famille.
Serait-il possible de grossir les notes en bas de pages ?