La brave bête comprit et commença à descendre lentement le long des lacets qui longent la falaise. Bon-Papa la suit le plus près possible assurant son compagnon d'Infortune qui ne cesse de glisser. Il fait entièrement confiance à Arguette. Elle seule peut les sauver.
Ils ne surent jamais comment ils arrivèrent au refuge1. Alertés par les beuglements de la vache, les gardiens se portèrent à leur secours.
Ils se retrouvèrent rassurés, sans trop y croire devant la grande cheminée. On leur enlève leurs vêtements trempés, on les frotte vigoureusement avec de la paille et, de temps en temps, on leur glisse dans la bouche une rasade d'aguardiente2.
Au matin, ranimés, séchés, restaurés, ils se congratulèrent de leur chance. Monsieur Lacaze, toujours pressé, ne pensait plus qu'à aller prendre la diligence qui tous les jours assure le service de Sarladu à Marignac3. Bon-Papa, lui, doit continuer à pied, au rythme d'Arguette. Il lui faudra plus d'une bonne journée de marche pour arriver à Pontaut.
Ils prirent donc congé l'un de l'autre en promettant de se revoir bientôt.
Cependant, en passant à Pontaut4, Monsieur Lacaze demanda à la diligence de s'arrêter, le temps d'envoyer un gamin à qui il donna une pièce de deux sous en cuivre, à la casa Benosa, dire que le Señor Julian serait bientôt là avec Arguette.
On devine sans peine la joie qui fut celle de toute la maisonnée à l'annonce d'une telle nouvelle.
Tant qu'il vécut, Monsieur Lacaze, chaque année pour la Saint-Michel fit parvenir à mes grands-parents un bocoy5 de son meilleur vin.
Quand à Arguette, elle ramena une surprise de cette épopée. A l'automne suivant, elle mit au monde une petite Arguette, bien constituée celle-là qui, à son tour, enfanta d'autres Arguette. Et, tant que ma grand-mère vécut, il y eut une Arguette à l'écurie pour perpétuer le souvenir de la première.
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Un jour, je m'étais étonnée de ce que Monsieur Louis Lacaze, comptable aux fours à chaux de Saint-Béat6, fut plein d'attentions pour mes parents. Nous venions de milieux différents et je ne m'expliquais pas cette amitié.
Mais, me répondit Papa, c'est à cause d'Arguette. »
Et voilà comment j'ai connu l'histoire de la petite vache tant aimée de ma Bonne-Maman.
Auteure : Juliette ESCARIO, née DEO BENOSA
Illustrateurs : Mélanie ARJONA, Donatien AUTHIE, Paul BERART, Hugo GONZALEZ, Dylan HENNI, Kévin HUBERT, William LELONG, Sandra LOZES et Kevin MARQUEVIELLE
Maquette : Dominique BOUTONNET
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Editeur : © Classe de 602/502 de la Segpa<
Collège F. Cazes de St-Béat—31440 F
18 décembre 2009
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Notes :
1. "refuge": Un autre hospice se trouvait bien sûr de l'autre côté du col. S'agit-il du refuge deth Pontet ? [Voir pour info l'hospice de Vénasque à la fin du XIXe s.]
Tous les voyages étaient rudes, effectués parfois dans des conditions périlleuses et sans équipement adéquat : on rappelle que M. Lacaze porte des chaussures de ville et le Senor Julian sa simple cape de bureu (cf. Traversée par la montagne (Col de Tortes à Argelès-Gazost) vers 1852, et des montagnards au Néthou (Aneto) vers 1900).
2. "aguardiente": aigarden, eau-de-vie; du latin aqua et ardente, eau brulante. L'occitan aigarden se retrouve en italien aquardente, catalan aigardent, espagnol aguardiente. C'est un médecin catalan qui décrit au XIVe siècle cette fameuse macération "enflammée" de plantes et d'alcool.
3. "la diligence": tout une aventure ! On prenait la diligence (illustration de 1831) "Salardu - Marignac" (vue de 1823) via Vielha par des chemins montueux ou des grandes routes (cf. photos de diligence et voyageurs aux Pyrénées entre 1859-1910) et on traversait la frontière par le défilé du Pont du Roi. On consultera les guides et horaires Diamants-Joanne en vigueur pour avoir une idée des parcours et délais...
4. Pontaut: faute du Pontaut d'époque, on verra une image de Bòssost depuis le sentier du Portillon (vers 1850). M. Lacaze ne décrit pas le remarquable pont, "hardi" suivant P. Joanne, (Pont naut) qui conduit à Canejan et devant lequel il passe avant la frontière. "Parti de Pontau, on traverse la Garonne (580 m) sur un pont de pierre très élevé et on entre dans le val de Tòran." (Guide Joanne). C'est ce pont qui donne son nom au village de la casa Benosa.
5. "bocoy": bocau. C'est à l'origine le récipient (le baucalis latin est un vase à rafraichir) puis une unité de mesure, l'équivalant du contenu d'une peau de bouc (boc). Par extension, bocal, tonneau, futaille ou barrique de taille variable servant à contenir du "sec" mais aussi à stocker ou à transporter des liquides (cf. "Un transport de vin par des muletiers espagnols"). La dimension du fût variait suivant le type de denrées: un boucau de sucre, de café, de riz, de tabac, ou de vin. Ce nom est aussi typique des tonneaux employés dans la région de Jerez et de ceux utilisés en Ecosse.
6. "fours à chaux de St-Béat": il est resté longtemps des pans de murs et des parties métalliques de cette ancienne industrie située à la sortie de St-Béat sur la route qui relie le village à Marignac (R.D. 44). Désormais, de l'activité de M. Louis Lacaze, comptable aux fours à chaux, ni de celle de Monsieur Lacaze, négociant en vin à St-Béat, il ne reste plus rien; non plus que des voyages en diligence. Mais nous pouvons encore écrire et lire les histoires du passé comme celle de "Mamie Juju".
NDLR: les illustrations choisies sur Gallica et la Bibliothèque numérique de Toulouse essaient de s'approcher au mieux des dates de l'histoire d'Arguette (années 85-90 ou 1900-10). A vous de compléter par vos propres recherches, peut-être dans les greniers et les malles.
Bibliographie :
- La vie des hommes de la montagne dans les Pyrénées racontée par la Toponymie, Marcellin Bérot, Ed° Parc National des Pyrénées, Milan, 1998;
- Toponymie gasconne, Bénédicte et Jean-Jacques Fénié, Editions Sud-Ouest Université, 1999;
- Petite anthologie occitane du Comminges, Andrieu Lagarda, Centre régional d'études occitanes, 1976;
- Pyrénées, Guides Diamant P. Joanne, Hachette et Cie, 1885;
- 50 balades et randonnées en val d'Aran et Encantats, Guides Louis Audoubert, Ed° Milan, 1995
- Trois mois dans les Pyrénées et le midi de la France, Alfred Tonnelé, 1858 (p.136 et s.);
- Era Val d'Aran, Guia topografica y mapa 1:40 000, Ed° alpina, 1990;
- Pirineus 22, Pica d'estats - aneto, mapa excursionista 1:50 000, Rando éditions, 1999;
- Dictionnaire ÒC/FR, Fr/ÒC, La Palanqueta, André Lagarde, CRDP Midi-Pyrénées, 2000;
- Petit dictionnaire Français-Occitan (Béarn), Ed° Per noste/La Civada, 1984;
- 70 Clés pour la formation de l'occitan de Gascogne, Michel Grosclaude, Ed° Per noste/La Civada, 2000;
- Memento grammatical du Gascon, Jean-Pierre Birabent et Jean Salles-Loustau, Ed° Escòla Gaston Febus/Nosauts de Bogòrra, 1989;
- Les racines de la langue Gasconne, Halip Lartiga, Ed° Princi Neguer, 1999;
- Les langues régionales, Jean Sibille, Dominos Flammarion, 2000;
En ligne :
- Centre national de ressources textuelles et lexicales (cnrtl), cnrs/atilf, http://www.cnrtl.fr;
- Dictionnaire étymologique de l'occitan, R.A. Geuljans, http://racamg.perso.sfr.fr/index.html
- Gallica, Bibliothèque numérique de la BNF (Bibliothèque nationale de France), Fonds photographique patrimonial, http://gallica.bnf.fr/?lang=FR
- Bibliothèque numérique de Toulouse, http://numerique.bibliotheque.toulouse.fr/